Mozilla a annoncé la fermeture de Pocket le 8 juillet 2025
Pour moi, c’est la fin d’une époque. J’utilise Pocket depuis 2007 (anciennement Read it Later), bien avant son rachat par Mozilla la même année. Ce service d’enregistrement d’articles et de pages web à lire plus tard était devenu un outil incontournable de mon quotidien numérique. Voir Pocket (aussi connu sous le nom GetPocket) s’arrêter m’a obligé à chercher une solution de remplacement. Plutôt que de me tourner vers un énième service propriétaire aux perspectives incertaines, j’ai vu dans cette transition forcée l’occasion d’adopter une approche plus pérenne : opter pour une alternative open source et, si possible, auto-hébergée.
Trouver une alternative pérenne et ouverte
Pourquoi ce choix ? D’abord, parce qu’un logiciel open source offre des garanties de long terme qu’un service propriétaire ne donne pas. Le code source ouvert signifie que la communauté peut le consulter, le modifier, l’améliorer, et surtout le maintenir en vie même si l’éditeur d’origine arrête les frais. En d’autres termes, pas de risque de voir le service disparaître du jour au lendemain sur une décision d’entreprise ou un pivot stratégique. La pérennité est souvent meilleure avec l’open source, car le développement communautaire assure des améliorations continues et une soutenabilité à long terme.
Mon expérience avec Pocket a mis en lumière la fragilité des services commerciaux. Même soutenu par Mozilla, Pocket n’a pas échappé à une fin programmée, preuve que s’appuyer sur une solution propriétaire comporte toujours une part d’incertitude. À l’inverse, de nombreux projets open source continuent d’être utilisés bien après l’arrêt de leur éditeur initial, grâce à des forks ou à la mobilisation d’utilisateurs passionnés. Comme le souligne un ancien utilisateur de Pocket, son premier réflexe a été de chercher une alternative open source « qu’il pourrait réellement posséder, qui ne risquerait pas de disparaître subitement ». C’est exactement l’état d’esprit dans lequel je me trouvais.
Ensuite, l’idée d’auto-héberger la solution m’a séduit pour renforcer cette durabilité. En auto-hébergement, mes données sont sur mes propres serveurs, sous mon contrôle direct. Premier avantage : l’autonomie totale sur mes données – c’est moi qui décide où elles résident et qui y a accès.
Si d’aventure le projet open source que j’utilise n’était plus maintenu, je conserverais malgré tout mon application et mes liens enregistrés. Je ne subirais pas la pression d’un fournisseur qui ferme boutique en m’imposant une exportation et une migration dans l’urgence. En somme, un service auto-hébergé ne s’arrête que si je le décide. Comme le confie un journaliste après son passage à une solution auto-hébergée, il est rassurant de savoir que le contenu reste en place et ne disparaîtra pas au gré des décisions d’un tiers. Cette indépendance n’a pas de prix pour qui a déjà vécu la déconvenue d’un service en ligne qui s’évanouit.
Migration vers Karakeep : une nouvelle page pour mes favoris
Face à la fermeture de Pocket, j’ai exploré plusieurs alternatives. Des solutions open source existent depuis longtemps, Wallabag par exemple, un outil bien établi de lecture différée qui permet d’importer ses données Pocket et de tout héberger chez soi. Il y a aussi d’autres gestionnaires de favoris libres comme Linkwarden, Shiori, ou Omnivore. Après quelques recherches, mon choix s’est porté sur Karakeep (anciennement appelé Hoarder).
Pourquoi Karakeep ?
D’abord parce que Karakeep coche les cases que je juge essentielles : c’est un projet open source sous licence AGPL, pensé pour être self-hosting first (dès la conception, l’auto-hébergement est la priorité), et il dispose d’une communauté active. Ensuite, son éventail de fonctionnalités m’a convaincu : Karakeep est plus qu’un simple « à lire plus tard » minimaliste. On peut bien sûr sauvegarder des liens, mais aussi prendre des notes simples, stocker des images ou PDF, organiser le tout en collections, ajouter des tags, effectuer des recherches en texte intégral, etc. La présence d’extensions navigateur (Chrome, Brave et Firefox) pour enregistrer en un clic depuis le web, ainsi que d’applications mobiles (Android et iOS), assure une expérience multiplateforme proche de celle à laquelle j’étais habitué avec Pocket. Autrement dit, je ne perds pas mes réflexes : voir un article intéressant, cliquer « Enregistrer », et le retrouver plus tard sur mon téléphone ou mon ordinateur pour le lire tranquillement.
Par ailleurs, Karakeep apporte des innovations bienvenues. L’intégration optionnelle d’une touche d’IA permet, si on le souhaite, d’avoir un auto-tagging intelligent des contenus enregistrés, voire un résumé automatique de chaque article grâce à l’API OpenAI (si on configure une clé API). C’est le genre de fonction qui peut faire gagner du temps lors du tri de gros volumes de lecture. On peut très bien s’en passer (et personnellement, j’aime taguer manuellement mes articles), mais savoir que c’est disponible est un plus appréciable.
J’ai pu migrer l’ensemble de mes données Pocket vers Karakeep sans encombre. L’export Pocket fourni par Mozilla s’importe assez facilement. J’ai utilisé le fichier .CSV d’export de Pocket pour ne perdre aucun lien. Karakeep propose une interface web moderne et sobre qui rend l’exercice de tri et de lecture confortable. J’y ai retrouvé mes habitudes : mode lecture épuré (sans les pubs ni distractions, similaire à ce que faisait Pocket), affichage des articles sauvegardés avec titres, images et descriptions récupérés automatiquement, et possibilité de marquer comme lu, taguer, archiver, etc. Très vite, j’ai pu me réapproprier mes listes d’articles à lire.
Avantages et inconvénients de Karakeep
Comme tout choix technologique, Karakeep n’est pas parfait et comporte son lot d’atouts et de compromis. Voici les principaux points que j’ai relevés après ma migration :
✅ Avantages de Karakeep
- Open source et auto-hébergé : Gage de pérennité et de contrôle. Le code est ouvert, la communauté est présente, et mes données restent chez moi. Pas d’abonnement ni de dépendance à un tiers, ce qui signifie qu’aucune décision externe ne viendra mettre fin au service du jour au lendemain.
- Fonctionnalités riches : Au-delà de la sauvegarde de pages web pour lecture ultérieure, Karakeep permet la gestion de bookmarks avancée : tags, listes personnalisées, recherche plein texte, prise de notes, sauvegarde d’images et PDF, etc. C’est un outil polyvalent qui combine gestion de favoris et lecture différée.
- Extensions et applications multiplateformes : Karakeep propose des extensions navigateur (Chrome, Brave, Firefox) pour un enregistrement en un clic, ainsi que des applications mobiles iOS/Android. On conserve ainsi une utilisation fluide sur tous les appareils, équivalente à l’écosystème Pocket
- Archivage anti-« lien mort » (link rot) : C’est une des fonctionnalités phares à mes yeux. Karakeep peut conserver une copie hors ligne complète de la page web au moment de la sauvegarde (grâce à l’outil Monolith), ainsi qu’une capture d’écran. Cela signifie que même si la page originale disparaît ou change, j’aurai toujours accès au contenu tel qu’il était au moment où je l’ai sauvegardé. Adieu les mauvaises surprises des liens morts ! (J’y reviendrais plus loin)
- Intégration RSS et automatisation : Karakeep offre la possibilité de lier des flux RSS pour auto-enregistrer les nouveaux articles de certains sites ou blogs qui m’intéressent particulièrement. Cela évite de manquer des contenus et remplit automatiquement la liste de lecture avec vos sources favorites. Il dispose également d’un moteur de règles pour automatiser certaines actions (par exemple, taguer ou classer automatiquement selon le domaine du lien).
- Transparence et contributions : En cas de bug ou de besoin spécifique, je peux inspecter le fonctionnement de l’application, voire contribuer moi-même au code ou signaler un problème de manière détaillée. Cette transparence et cette maîtrise technique tranchent avec l’opacité d’un service propriétaire où l’on est condamné à attendre un hypothétique correctif du fournisseur
⚠️ Inconvénients ou limites de Karakeep
- Installation et maintenance technique : Karakeep est pensé pour être déployé via Docker. Si l’on n’a pas l’habitude d’administrer un serveur ou un NAS, cela peut représenter un obstacle. L’auto-hébergement demande un minimum de compétences techniques et de temps (mise à jour de l’application, supervision du service, sauvegardes…).
- Application en développement actif : Le projet est relativement jeune et évolue rapidement. Les développeurs indiquent d’ailleurs que l’application est encore « sous lourd développement » à ce stade. Cela implique la possibilité de rencontrer quelques bugs ou changements fréquents. En contrepartie, le rythme de développement soutenu est signe d’améliorations régulières.
- Pas encore de lecture hors-ligne complète sur mobile : Contrairement à Pocket qui permettait de télécharger les articles pour les lire hors connexion, Karakeep ne propose pas encore cette fonction sur ses applications mobiles. C’est sur la feuille de route des développeurs, mais à l’heure actuelle il faut une connexion internet pour charger le contenu lors de la lecture sur smartphone. Si vous aviez l’habitude de lire vos articles en mode avion, c’est un point à considérer.
- Moins de recommandations de contenu : Pocket offrait une section « Découvrir » avec des recommandations d’articles populaires. Karakeep, lui, se concentre sur vos contenus sauvegardés et n’a pas (pour l’instant) de fonctionnalités de suggestion d’articles externes. Personnellement, cela ne me manque pas – j’appréciais Pocket pour l’archivage, pas pour l’aspect curation – mais c’est à noter pour ceux qui aimaient cette dimension de découverte.
En balance, ces inconvénients ne diminuent pas mon enthousiasme pour Karakeep. L’essentiel est que mes données sont en sécurité, sous mon contrôle, et que les fonctionnalités clés dont j’ai besoin sont là. De plus, plusieurs points limitants (comme la lecture hors ligne) sont déjà prévus dans les évolutions à venir, ce qui est bon signe quant à l’écoute de la communauté de la part des développeurs.
Enfin si besoin, un espace de démo est disponible pour explorer les fonctionnalités de Karakeep.
Internet n’oublie jamais… vraiment ?
En migrant mes centaines de liens de Pocket vers Karakeep, j’ai entrepris un grand nettoyage de ma liste de lectures en retard. L’exercice s’est révélé instructif. Bien sûr, j’ai retrouvé des articles que j’avais sauvegardés des années plus tôt et qui, entre temps, avaient perdu de leur intérêt ou de leur actualité – ce n’est pas une surprise. En revanche, ce qui m’a frappé, c’est le nombre de liens morts (erreurs 404) que j’ai trouvé en parcourant mes archives. Des pages entières avaient tout simplement disparu du web, parfois moins de cinq ans après leur enregistrement.
On entend souvent dire qu’« Internet n’oublie jamais ». Toute notre activité en ligne laisserait une trace indélébile, nous rappelant d’être prudents avec ce que l’on poste sur les réseaux sociaux. Or, mon expérience prouve que Internet oublie beaucoup plus qu’on ne le pense – du moins en ce qui concerne le contenu. D’ailleurs, une étude du Pew Research Center relevait que 23 % des pages de sites d’information contiennent un lien mort, renvoyant vers une page introuvable (erreur 404). Les spécialistes parlent même d’un risque d’« âge sombre numérique » où, à force de voir disparaître des contenus non préservés, les générations futures pourraient perdre l’accès à une partie du savoir de notre époque. En clair, le Web est éphémère : les sites ferment, les articles sont supprimés ou déplacés, les technologies évoluent et rendent inaccessibles d’anciens formats…
Cette prise de conscience m’a conforté dans mon choix d’une solution qui intègre l’archivage du contenu. En effet, avec Karakeep, chaque lien sauvegardé peut être conservé localement. Si je tiens absolument à un article, je peux m’assurer d’en garder une copie (texte et mise en forme) dans ma base de données. Ainsi, même si le site source tombe dans l’oubli du net, ma bibliothèque personnelle, elle, n’oubliera pas.
Conclusion : une transition sous le signe de la souveraineté numérique
La fermeture de Pocket m’aura finalement permis de reprendre le contrôle sur un pan de ma vie numérique. En optant pour une alternative open source auto-hébergée, j’ai non seulement trouvé une nouvelle maison pour mes articles à lire plus tard, mais j’ai aussi gagné en sérénité. Mes données de lecture sont désormais à l’abri des aléas des politiques d’entreprise et de l’obsolescence programmée des services en ligne. Karakeep répond à mes besoins tout en s’inscrivant dans une démarche de long terme, axée sur la durabilité des outils et la souveraineté sur mes données.
Bien sûr, tout le monde n’a pas la possibilité ou l’envie d’auto-héberger ses applications. Pour certains, des alternatives hébergées comme Instapaper, Raindrop.io ou d’autres pourront faire l’affaire suite à la fin de Pocket. Mais si, comme moi, vous voyez la valeur d’une solution que vous maîtrisez de bout en bout, l’investissement en vaut la peine.
En attendant, je continue d’explorer Karakeep au quotidien, et je découvre à nouveau le plaisir de prendre le temps de lire. Étrangement, le fait d’avoir migré vers un outil plus « personnel » m’a incité à mieux organiser et apprécier mes lectures, au lieu d’accumuler les liens sans jamais y revenir. C’est peut-être le début d’une utilisation plus consciente et durable de mon “pense-bête” numérique. Et pour cela, le changement forcé de Pocket vers Karakeep aura eu du bon.