Billet d’humeur
Hier, j’ai fait ce que font tous les gens raisonnables, avec un certain budget et/ou curieux quand la fibre arrive à la maison : j’ai voulu nettoyer, optimiser, pousser la vitesse sur mon réseau local. J’avais un vieux routeur Linksys en Wifi 6, acheté en 2022. L’idée était simple : tirer enfin parti des débits que m’offre maintenant la fibre, chasser les goulots, remettre d’équerre le réseau local. Une nouvelle carte réseau 2,5 Gb, un routeur à jour : passer au wifi 7, règles du pare-feu plus robustes, et profiter d’une meilleure vitesse de transfert entre mon NAS et les machines connectées de mon réseau. Bref, rien d’exotique.
Et là, claque familière : hier encore, pour ce genre de matériel grand public mais solide, je piochais chez D‑Link, Linksys, ou Netgear. Aujourd’hui, je cherche, je compare, je lis les forums, je scrute les recommandations… et je retombe partout sur la même conclusion : TP‑Link. L’interface a mûri et n’a plus rien d’une mauvaise blague, les composants font le travail, les fonctions avancées débarquent dès le milieu de gamme, la stabilité suit, et le tout s’affiche à un prix qui plie la concurrence. Même ChatGPT, ou Mistral vous y ramènent, recherche approfondie à l’appui.
Qu’on s’entende : je n’ai aucune animosité envers l’industrie chinoise. Au contraire. Voir un acteur chinois rivaliser en qualité, en interface et expérience utilisateur, en fonctionnalités et en prix, c’est la preuve d’une montée en gamme réussie, d’une R&D qui tient la route, d’un tissu industriel qui carbure et offre des emplois à ses ingénieurs comme à ses ouvriers. C’est bon pour leur économie, leur rayonnement, leur souveraineté. Très bien.
Ce qui m’agace, c’est nous. Ma question est simple, presque naïve : comment en est‑on arrivé là ? Comment se fait‑il qu’en 2025, pour une simple carte réseau 2,5 Gb ou un routeur de salon, l’option « raisonnable », qualité, fiabilité, interface correcte, prix juste, soit quasiment voire systématiquement un fabricant chinois, pendant que « nos » alternatives sérieuses se raréfient ou exigent de monter en gamme (et en facture) pour atteindre le même niveau ? Où sont passés nos équivalents crédibles, accessibles, désirables ?
On nous a bercés d’un récit : plans industriels, “Chips Act”, grands discours sur la souveraineté, sanctions contre ceci, injonctions contre cela… Et dans la vraie vie ? Dans « l’armoire réseau » du citoyen, là où se joue une partie très concrète de la souveraineté numérique : le routeur du foyer, la carte 2,5G, le switch PoE, nous avons déserté. Nous parlons datacenters, cloud souverain, satellites ; très bien. Mais nous avons négligé le quotidien : le matériel banal, celui qui irrigue chaque maison, chaque PME, chaque mairie. C’est là que se fabriquent des volumes, des compétences, des chaînes logistiques, des marges pour réinvestir et itérer. C’est là que la souveraineté devient habitude plutôt que slogan.
Soyons honnêtes : nous avons confondu souveraineté et communication narrative. Nous avons sous‑traité ce qui paraissait « peu noble », délocalisé la valeur, laissé filer le milieu de gamme, oublié la maîtrise logicielle et l’ergonomie, ces deux endroits où l’on perd (ou gagne) l’utilisateur. Pendant ce temps, d’autres ont appris, itéré, poli leurs interfaces, optimisé leurs nomenclature, sécurisé leurs approvisionnements, et livré des produits bons sans se ruiner en marketing (et des fois, un très mauvais marketing, mais c’est un autre sujet). Résultat : quand je cherche un équipement standard, je n’ai pas à choisir, on a choisi pour moi.
C’est peut‑être cela, la partie la plus vexante : ne plus avoir le choix. La souveraineté, ce n’est pas l’autarcie ; c’est la capacité à dire non, à dire oui, à comparer en citoyen responsable et adulte, à préférer sur des critères techniques et éthiques et à pouvoir acheter sans se faire assommer. Aujourd’hui, cette capacité est atrophiée. On regarde passer le train en se racontant que, plus tard, on fera une grande politique de l’offre, qu’on mettra des milliards sur la table, qu’on certifiera, qu’on « ré‑industrialiserait ». Plus tard.
Entre‑temps, je commande une carte réseau de 2,5 gigabit chez TP‑Link. Parce qu’elle fait le job. Parce que le concurrent occidental équivalent me demande de monter d’une gamme (et de casser ma tirelire) pour atteindre la même qualité d’interface, le même soin matériel, la même stabilité. Le « milieu de gamme » est le cœur du marché : c’est là que se font les volumes, que se fixent les standards d’interface, de support et de prix. C’est ce segment qui façonne la réalité du réseau domestique et des PME. Nous avons cessé d’y être vraiment compétitifs, laissant le terrain à d’autres. Parce que dans le milieu de gamme, celui qui décide du paysage réel, nous avons renoncé.
Je ne jette pas la pierre aux acheteurs. À budget égal, on choisit ce qui marche. C’est humain, c’est sain. Mais collectivement, il va falloir arrêter de croire que la souveraineté se gagne en conférence de presse et se perd dans le placard électrique du salon. Elle se gagne dans les chaînes d’assemblage, dans la culture produit, dans la durée de support logiciel et matériel, dans la transparence sur les composants et le firmware, dans l’obsession de l’ergonomie, dans la recherche et développement, dans l’enseignement, dans la créativité et la capacité d’innover et, oui, dans la guerre des prix, parce que l’argent est un argument politique.
Alors, on fait quoi ?
- On arrête de mépriser le « banal ». Routeurs, cartes réseau, switchs : c’est stratégique.
- On fixe des exigences minimales dans les cahiers des charges publics : mises à jour garanties, sécurité auditée, documentation ouverte, interopérabilité réelle.
- On ré‑apprend à faire du milieu de gamme qui tient la route : pas du luxe pour salon d’expo, pas du gadget jetable. Juste du bon matériel.
- On soutient les équipes qui pensent interface et support autant que silicium. Parce que l’utilisateur choisit avec ses yeux, son temps, et sa patience.
- Et côté acheteurs éclairés, on regarde, on compare, on fait remonter les bugs, on encourage, quand elles existent, les alternatives locales qui méritent qu’on les pousse.
Ce billet d’humeur n’est pas une ode au protectionnisme ni un procès d’intention. C’est un constat : au moment de cliquer « Ajouter au panier », je n’ai pas trouvé en face une alternative qui coche les mêmes cases, au même prix. La concurrence a fait ses devoirs. À nous de retrousser les manches.
Parce qu’à force de parler souveraineté en lettres capitales, on oublie le point de détail qui tue : elle se joue, très souvent, sur une ligne de facture. Et tant qu’on ne réapprendra pas à gagner cette ligne‑là, le train continuera de passer et nous, nous resterons sur le quai, les mains dans les poches.
Note au lecteurs et lectrices : ceci est mon regard, nourri par une expérience d’achat très concrète. Vous n’êtes pas obligé de partager ce constat. Si vous avez des références d’équipements (routeurs, cartes 2,5 Gbps, switches …) offrant une qualité, une fiabilité et une interface comparables à TP‑Link, pour un prix similaire, je veux les connaître ! Les commentaires sous l’article sont ouverts, et vous pouvez aussi passer par mon formulaire de contact. Je suis ouvert à la critique argumentée et preneur de retours terrain.
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